samedi 11 août 2007

Lettre ouverte à Nicolas Sarkozy

Cette lettre ouverte a manquée sérieusement de publicité, mais le contraire aurai été étonnant dans le pays de Sarkolusconi.

Vous étiez venu dites-vous à Dakar nous parler — nous les Africains —, avec franchise et sincérité, vous étiez donc venu avec tout le fond de votre pensée, car c’est ainsi je crois qu’on qualifie la franchise et la sincérité, un échange sans fard et sans arrière-pensée. Nous prenons donc acte de la conception que vous avez de ce continent et de ses habitants. Vous étiez venu dites-vous pour nous assurer que la France s’associera à nous si nous voulons la liberté, la justice et le droit, mais permettez-moi d’être franc et sincère également.
Au lendemain de votre discours, que faisiez-vous donc avec Omar Bongo, quarante ans de règne dans la dictature, un doyen dites-vous, et quel doyen dans la corruption et l’aliénation de son pays ! De quelle liberté, de quelle justice, de quel droit parlez-vous ? Je n’ose même pas vous poser la question concernant votre sourire à cet autre grand dictateur africain : Muammar al-Kadhafi ! Que dire du don nucléaire que vous lui promettiez ? Il serait maintenant
fréquentable ? Sincèrement ? Mais soit… Nous les Africains manquons un peu de raison et ne comprenons pas ces subtilités qui nous éloignent de la nature et de l’ordre immuable des saisons.
Vous étiez donc venu — vidi vici complétera l’autre, regarder en face notre histoire commune. Fort bien ! Votre posture tombe à propos pour une génération d’Africains et de Français avides de comprendre enfin ces drames continuels frappant l’Afrique. Il nous reste simplement à tomber d’accord pour définir le sens de ce mot histoire. Car quand vous dites que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire, vous avez tort. Nous étions au cœur de l’histoire quand l’esclavage a changé la face du monde. Nous étions au cœur de l’histoire quand l’Europe s’est partagé notre continent. Nous étions au cœur de l’histoire quand la colonisation a dessiné la configuration actuelle du monde. Le monde moderne doit tout au sort de l’Afrique, et quand je dis monde moderne, je n’en exclus pas l’homme africain que vous semblez reléguer dans les traditions et je ne sais quel autre mythe et contemplation béate de la nature. Quentendez-vous par histoire ? N’y comptent que ceux qui y sont entrés comme vainqueurs ? Laissez-nous vous raconter un peu cette histoire que vous semblez fort mal connaître. Nos pères, par leurs luttes sont entrés dans l’histoire en résistant à l’esclavage, nos pères par leurs révoltes, ont contraint les pays esclavagistes à ratifier l’abolition de l’esclavage, nos pères par leurs insurrections — connaissez-vous Sétif 1945, connaissez-vous Madagascar 1947 ? ont poussé les pays colonialistes à abandonner la colonisation. Et nous qui luttions depuis les indépendances contre ces dictateurs soutenus entre autres par la France et ses grandes entreprises — le groupe de votre ami si généreux au large de Malte par exemple, ou la compagnie Elf.
Savez-vous au moins combien de jeunes Africains sont tombés dans les manifestations, les grèves et les soulèvements depuis cette quarantaine d’années de dictature et d’atteinte aux droits de l’homme ?
Fait-on partie de l’histoire quand on tombe dans un coin de rue d’Andavamamba, les bottes des militaires foulant votre corps et vous livrant aux chiens ? Croyez-vous vraiment que jamais l’homme (africain) ne s’élance vers l’avenir, jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin ? Jamais dites-vous ? Devons-nous l’interpréter comme ignorance, comme cynisme, comme mépris ? Ou alors, comme ces colonisateurs de bonne foi, vous vous exprimez en croyant exposer un bien qui serait finalement un mal pour nous. Seriez-vous aveugle ? Dans ce cas, vous devriez sincèrement reprendre la copie nous concernant. Vous avez tort de mettre sur le même pied d’égalité la responsabilité des Africains et les crimes de l’esclavage et de la colonisation, car s’il y avait des complices de notre côté, ils ne sont que les émanations de ces entreprises totalitaires initiées par l’Europe, depuis quand les systèmes totalitaires n’ont-ils pas leurs collaborateurs locaux ? Car oui, l’esclavage et la colonisation sont des systèmes totalitaires, et vous avez tort de tenter de les justifier en évoquant nos responsabilités et ce bon côté de la colonisation. Mais tout comme vous sûrement, nous reconnaissons qu’il y a eu des «justes». Or vous savez fort bien que les justes n’excusent pas le totalitarisme. Vous avez tort de penser que les dictateurs sont de nos faits. Foccart vous dit peut-être quelque chose ? Et les jeux des grandes puissances — dont la France évidemment, qui font et défont les régimes ? Paranoïa de notre part ? Oui, nous devons résister, et nous résistons déjà, mais la France est-elle franchement de notre côté ? Qui a oublié le Rwanda ? Vous appelez à une «renaissance africaine», venez d’abord parler à vos véritables interlocuteurs, de ceux qui veulent sincèrement et franchement cette renaissance, nous la jeunesse africaine, savons qu’ils ne se nomment pas Omar Bongo, Muammar al-Kadhafi, Denis Sassou Nguesso, Ravalomanana ou bien d’autres chefs d’Etat autoproclamés démocrates.
Nous vous invitons au débat, nous vous invitons à l’échange. Par cette lettre ouverte, nous vous prenons au mot, cessez donc de côtoyer les fossoyeurs de nos espérances et venez parler avec nous. Quant à l’Eurafrique, en avez-vous parlé à Angela ?
Sincèrement et franchement à vous.

Antananarivo, le 3 août 2007

Raharimanana et les écrivains
Boubacar Boris Diop (Sénégal),
Abderrahman Beggar (Maroc, Canada),
Patrice Nganang (Cameroun, Etats-Unis) Koulsy Lamko (Tchad),
Kangni Alem (université de Lomé),
et l’éditrice Jutta Hepke (Vents d’ailleurs).

dimanche 5 août 2007

Un baobab est mort

Terrassé en mars 2007 par une attaque cardio-vasculaire, le professeur Jean Suret-Canale est décédé le 26 juin, et a été inhumé deux jours plus tard au cimetière de La Roquille, petite commune du sud-ouest de la France où il s''était retiré depuis sa retraite. En Afrique de l''Ouest son nom est familier à beaucoup, par son engagement communiste et anticolonialiste, par ses écrits et par son enseignement. Né à Paris en 1921, il fit de brillantes études au lycée Henri-IV, qui lui valurent Le prix de géographie en 1939. Il en fut récompensé par des bourses de Voyage au Bénin-Dahomey et en Indochine; il y découvrit le problème colonial. Il adhéra aux Jeunesses communistes entre l''écrit et l''oral de son Baccalauréat, fit trois mois de prison pour avoir collé des affiches, entra ensuite dans la Résistance. Agrégé de géographie en 1946, le jeune professeur fut envoyé à Dakar et enseigna au Lycée Van Vollenhoven. Son militantisme le conduit à adhérer aux Groupes d''études communistes, au Rassemblement démocratique africain et à l'Union des syndicats confédérés de Dakar. Ses activités amènent en 1949 le gouverneur Béchard à ordonner son expulsion vers la France, où il enseigne au lycée de Laval, puis à Jean-Baptiste Say à Paris. Après le "non" de la Guinée au référendum de septembre 1958, Il répond à l''appel du nouveau ministre guinéen de l''éducation, Barry Diawadou, qui souhaite remplacer les enseignants que Paris a rappelés en réaction à l''indépendance de la Guinée, et arrive en mars 1959 à Conakry. Il enseigne au Lycée de Donka (son épouse Georgette au collège de Jeunes filles), y fait fonction de proviseur pendant un an, dirige l''année suivante l''Institut national de recherches et de documentation de Guinée (INRDG) et crée la revue "Recherches Africaines".Il est nommé en janvier 1962 directeur d''une École normale supérieure créée à Kindia. Mais Paris ne lui pardonne pas son départ en Guinée : l'éducation nationale n''accepte pas sa mise en disponibilité, le radie des cadres et refuse de compter dans son ancienneté et sa retraite ses cinq années guinéennes. En 1962, il est menacé par une circulaire du Premier ministre Michel Debré d''être déchu, comme quelques autres compatriotes, de la nationalité française pour activités contraires aux intérêts de la France . Il revient en France comme attaché de recherches au CNRS (1966-74).Il milite pour la reconnaissance par la France de la Corée du Nord. Faute de poste en France, il part en Algérie comme maître-assistant à l'Université d''Oran (1974-1978), et revient de 1978 à 1984 comme maître-assistant de géographie à l''Université de Paris VII. Il soutient alors sa thèse d''État publiée en 1987 sous le titre : "Afrique Et capitaux", et devient la même année docteur honoris causa de l''Université de Leipzig; il est également membre de la Société des Africanistes.Membre Du comité central du parti communiste français de 1967 à 1972 il devient en 1972 l''un des présidents de l''AFASPA (Association française d''amitié et de solidarité avec les peuples d''Afrique). Les écrits de Jean Suret-Canale sont nombreux, et embrassent bien des sujets, du marxisme à la traite des noirs, de la Mélanésie au Vietnam et de la Corée à Madagascar, en passant par la Résistance en France et les Groupes d''études communistes, ainsi que de nombreuses préfaces. Son ouvrage "La République de Guinée" (Éditions sociales, 1970) continue à faire autorité. La très critique "Histoire de l'Afrique occidentale" qu''il publie en 1960 (repris par Présence africaine en 1961) avec l''historien guinéen Djibril Tamsir Niane suscite de l''émoi en France, et le ministère de la Coopération fait en hâte rédiger par Yves Person (qui resta anonyme) une "Histoire Des Peuples Noirs" publiée à Abidjan en 1962 (Houphouët-Boigny corrigea lui-même certaines pages). Et puis il y a sa monumentale "Histoire de l''Afrique occidentale et centrale française", travail de synthèse rempli d''archives de première main. Pourtant, Suret-Canale était plus géographe qu'historien ! Mais au-delà de la recherche, des livres et des engagements, Jean Suret-Canale était un homme affable, d''une grande simplicité et jusqu'à la fin d''une mémoire étonnante et précise.

Encore un qui ne contredira plus Sarkozy et les bienfaits de la colonisation.
Que la terre lui soit légère...